top of page

 

Le chant de Sanaa

 

Le Chant de Sanaa est sans doute la tradition musicale du Yémen la plus

ancienne et la plus riche en formes diverses et raffinées (ce que le mot

"classique" rendrait imparfaitement). Elle se distingue par une pratique

vocale raffinée et par deux instruments particulièrement originaux.

 

1/ Une tradition musicale "classique"

De cette musique citadine savante, Ahmed Muharrem (m. vers 1995)

interprète ici l'une des formes les plus complexes, le mutawwal. Ce chant

non mesuré est accompagné par un luth oriental qui suit étroitement

 les inflexions de la voix, en alternance avec une forme mesurée

instrumentale, ici à 11 temps :

 

Le poème, intitulé "Yâ mukahhil 'uyûnî bi-s-sahar" (O toi qui a noirci mes

yeux par l'insomnie), appartient à une tradition de poésie chantée, le

humaynî, qui a été transmise dans des manuscrits et des cahiers de

chant depuis au moins le XIIIème siècle (Dufour 2013).

 

Le Chant de Sanaa est constitué principalement d'une suite vocale et

instrumentale, la qawma, composée de trois mouvements principaux

ayant trois rythmes distinctifs : la das'a (à 7 ou à 11 temps), la wastâ (un

cycle binaire asymétrique similaire à la rumba) et le sâri' (le même que le précédent, mais à un tempo plus rapide) (1997, 2001a, 2002b). Ici, la qawma, qui dure habituellement de vingt à trente minutes, revêt une forme abrégée de quelques minutes, interprétée par le maître Hassan al-'Ajamî

(et jouée sur un instrument à percussion, un plateau en cuivre, qui sera

décrit plus bas) :

 

Cette musique permet aussi d'animer la danse, dans les salons

d'après-midi, magyal, ou dans les veillées de mariages :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Accompagnée de nos jours principalement par le 'ûd oriental (à cinq cordes), cette tradition se distinguait, au cours du XXème siècle, par deux instruments originaux, le luth monoxyle tarab-qanbûs et le plateau en cuivre, sahn.

 

 

2/ Instruments

- Organologie du luth yéménite monoxyle qanbûs ou tarab.

Cet instrument fabriqué dans une seule pièce de bois et recouvert d'une table en peau présente la particularité d'une continuité entre la caisse de résonnance et le manche, qui sont entièrement évidés. Ces propriétés concourent à lui donner un timbre rond, bien particulier :

 

 

 

 

 

 

Dans un livre collectif (2013) consacré à ce luth qui était dans le passé l'instrument principal du Chant de Sanaa, nous avons adopté une approche organologique et de lutherie comparée (chap. 5) : quelles pouvaient être les

motivations de cette innovation par rapport à l'existence plus ancienne du luth à manche long ? Il semblerait que celle-ci ait permis de résoudre le problème de fixation du manche à la caisse, qui était récurrent pour les luths à manche long (bien avant l'apparition d'un manche assemblé avec une caisse au moyen de plusieurs éclisses collées). Simultanément, elle aurait permis le montage d'un plus grand nombre de cordes. Quelles sont les relations entre cette forme monoxyle et la forme du luth composite arabe, 'ûd, actuel ? Tout en tentant de répondre à ces questions, le livre traite aussi des techniques de jeu (chap 7) et du renouveau de sa fabrication (chap. 6).

 

En conclusion, nous nous interrogeons sur les implications cognitives et cosmologiques du caractère monoxyle de l'instrument par rapport à un instrument composite (le 'ûd arabe contemporain). Cette question se pose notamment en relation avec la fonction essentielle d'accompagnement de la voix chantée et son autonomisation éventuelle par rapport à celle-ci. Par ailleurs, ces considérations organologiques conduisent à une réflexions anthropologique : imprégné de la culture des lettrés et des artisans de Sanaa, cet instrument doit certainement à sa petite taille et à sa fabrication robuste d'avoir résisté au puritanisme et d'avoir traversé les océans (chap. 8). Ce livre contient également plusieurs chapitres de nature historique (voir Ethnomusicologie et histoire de la musique).

 

- Le plateau en cuivre, sahn nuhâsî, est une sorte de gong utilisé en général en solo par le chanteur, pour accompagner sa voix. Le son cristallin est produit par une technique très subtile consistant à tenir l'instrument en équilibre sur les deux pouces. Le chant accompagné par cet instrument si simple doit recourir, plus que celui accompagné par le luth, à des formules syllabiques chantées sans significations pour remplir les parties instrumentales situées entre les couplets. C'était le cas du dernier grand maître de cet instrument, Mohammed al-Khamîsî (CD 2006).

 

 

 

 

 

 

 

 

1 Que j'avais appelé Ahmed Mansûr dans La médecine de l'âme

Huwa al-hobb - Mohammed al-Khamîsî
00:00
Yâ shâri' al-dam' - Ali Abû Bakr Bâ Sharâhîl
00:00
Yâ mughîr al-ghazâla - Hasan al-'Ajamî
00:00
bottom of page